La prescription médicale de transport doit être établie avant le transport

Par Maître Dominique BIANCHI, avocat au barreau de Lille.

Monsieur A est gérant d’une société d’ambulances depuis plusieurs années ; 11 années pour être précis. Il n’a jamais fait parler de lui et n’a jamais été soumis au Sous-comité des transports sanitaires, instance chargée au sein de l’ARS de contrôler et de sanctionner les entreprises de transport sanitaire en cas de manquement à leurs obligations. Monsieur A emploie une quinzaine de salariés et reste, comme tout chef d’entreprise, confronté à des problématiques inhérentes à la gestion du personnel. L’un de ses ambulanciers adopte un comportement pour le moins critiquable ; il s’aborde volontairement des missions de transport, endommage à l’aide d’un cric de voiture la carrosserie d’une ambulance, tient des propos insultants à l’égard du gérant, témoigne de comportements cavaliers à l’égard de certaines patientes, se présente en jeans à son poste de travail, écoute de la musique au volant de l’ambulance et va jusqu’à uriner dans la cafetière du personnel de l’entreprise… Le licenciement est justifié et notifié. Le salarié ne désempare pas et saisit le Conseil de prud’hommes qui, sans surprise, déboute l’ancien ambulancier en considérant que les comportements de celui-ci fondent la qualification de fautes graves retenue par l’employeur au sein de la lettre de licenciement.

Tout aurait pu s’arrêter là.

Mais voilà, le salarié licencié, désavoué par la Justice (selon lui !) joint la CPAM et dénonce auprès d’elle, par mesure de rétorsion, des trafics dont se serait rendu coupable l’employeur consistant selon les allégations du salarié, à transformer des prescriptions médicales de transport enVSL en « bons de transports » en ambulances couchées. La CPAM auditionne le salarié et sollicite le Parquet pour que s’ouvre une enquête préliminaire. Monsieur A est placé en garde à vue. Il doit répondre de tout ce dont on l’accuse, les dénonciations du salarié remercié étant légions. Il est même reproché au gérant, des décès survenus lors de différents transports (décès qui bien sûr sont tout à fait imaginaires et dont personne ne retrouvera la survenance). Bien évidemment Monsieur A est sous le choc. Il réprouve, tente de se justifier. Mais s’expliquer c’est déjà se défendre, et se défendre, c’est déjà être coupable. Alors, on investit le passé de Monsieur A et de son activité ambulancière. On réalise même des perquisitions ; celles-ci ne donnent rien. Evidemment. De fil en aiguille, on parvient à trouver néanmoins des patients qui ont été mécontents, l’entreprise de Monsieur A réalisant une 20aine de transports par jour soit près de 7000 transports par an. Monsieur A est poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Lille. Aucune instruction n’a été mise en œuvre avant le procès. Il faut prendre pour argent comptant l’enquête de police et les récriminations de la CPAM. Monsieur A est poursuivi pour principalement avoir opéré des « ventes forcées ». L’infraction n’est pas prévue par la Loi (autrement que pour la vente forcée par correspondance). En d’autres termes, ce qui est reproché à Monsieur A est d’avoir facturé des transports initialement prévus en VSL à des patients (dès lors que Monsieur A ne dispose que d’autorisations de circulation pour des ambulances couchées et qu’il lui est impossible de télétransmettre à la CPAM des PMT en VSL). L’audience dure plus de 5 heures et je plaide près d’1h30, notamment pour expliquer que toute entreprise de transport sanitaire en ambulance couchée qui se trouve confrontée à un patient qui ne justifie que d’un « bon de transport en VSL n’a pas d’autre choix que d’opposer à celui-ci l’impossibilité qui est la sienne de pouvoir obtenir la garantie de la Caisse. Le patient est alors dans une situation délicate. En effet, le rendez-vous médical qu’il a pris de longue date peut être manqué. Que faire ? L’ambulancier dépêché doit il renoncer de facto au transport et par là, placer le patient dans la difficulté ? Doit-il au contraire suggérer la possibilité restée ouverte au patient de faire modifier sa prescription auprès de son médecin ou encore, sa possibilité de régler directement le transport ?

Le hic, parce qu’il y a toujours un « hic » dans ce type de dossier, c’est qu’une PMT s’apparente à une ordonnance (dont le médicament est le transport) : de quel droit un ambulancier aurait-il le droit de solliciter la modification d’un bon de transport établi par un médecin ? C’est ce que reproche en substance le Président à l’audience. Dans la pratique néanmoins, les patients sont les premiers à réclamer l’effectivité du transport. Le fait accompli existe pour le patient. Cela n’est pas contestable. Mais peu importe, « l’on paiera le transport, soyez en assuré », ou encore mieux « Nous obtiendrons du médecin une PMT en transport couché ». Cela n’est pourtant pas garanti et bien souvent le médecin (à juste titre) refuse la modification de la PMT initiale ; la facture est donc inévitable.  Là est « la vente forcée » et même « la fraude » selon la prévention. Dans ce dernier cas cependant, je rappelle que celui qui se rend coupable d’une « régulation » de la PMT, ce n’est pas l’ambulancier : c’est le médecin lui-même, l’ambulancier n’ayant porté à la connaissance du patient « que » la possibilité de solliciter une « régularisation » de la PMT par le médecin. Est-ce alors une infraction reprochable à Monsieur A, dont la part de facturation dans son bilan reste par ailleurs très marginale ? Est-ce raisonnable de reprocher à un ambulancier d’exposer au patient les alternatives qui s’offrent à lui ?  Ou faut-il tout au contraire renoncer systématiquement au transport ? Il arrive même que le patient soit systématiquement transporté en ambulance couché et que de manière incidentale le médecin ait coché dans sa prescription une mauvaise case (c’est-à-dire un transport en VSL). Que faire ? Je verse à la procédure près de 900 pièces, ai établi des conclusions de 145 pages pour expliquer et démontrer… Le Ministère public requiert une peine d’emprisonnement avec sursis contre Monsieur A. Le délibéré n’a pas encore été rendu. Il faut patienter. Il est acquis en tout état de cause que la prescription médicale de transport doit être préalable au transport et qu’il faut nécessairement rester vigilant quant à la rédaction de celle-ci. La prise de contact avec l’entreprise de transport sanitaire doit de même être transparente car la responsabilité d’une société ambulancière est nécessairement engagée si elle ne délivre pas les informations qu’il faut au patient ou à sa famille lors de la demande de prise en charge. Une entreprise qui dispose d’agrément en ambulance couché et qui ne s’assure pas que le transport prescrit est en VSL, commet inévitablement une faute.

 

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